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Les vieux métiers dans le canton de Neuchâtel

Les vieux métiers dans le canton de Neuchâtel.

Alfred Chapuis(1917)

Depuis les temps les plus reculés, la grande occupation du Neuchâtelois étais la culture de la vigne sur les rives du lac et d'un sol ingrat dans les montagnes. Les hivers sont longs dans le Jura, les communications y étaient difficiles. Les habitants avaient dû de tout temps songer à se tirer d'affaire par eux-mêmes pour la confection et la réparation des outils indispensables à leur état d'agriculteurs et même des armes nécessaires à leur défense.

 

 

Ces diverses occupations, nées de la nécessité, ne peuvent être considérées comme de véritables manifestations industrielles. Celles qui méritent ce nom se rencontraient au bord du cours d'eau sous la forme de moulins si nécessaires aux agriculteurs, de scieries, de foules, de tuileries, puis de forges et de fonderies. Neuchâtel Ville commençait cependant à compter quelques artisans experts. Une Compagnie de Favres, Maçons et Chappuis y fut fondée très probablement au XV ème siècle. A partir de cette date les citations de potiers d'étain, d'orfèvres, de serruriers, d'armuriers, de taillandiers deviennent très nombreuses.

Au XVII ème siècle, des fondeurs et des tréfileurs seront également installés à Serrières, une rivière à deux pas de Neuchâtel, et en 1844, l'on constatera le long de cette rivière qui n'a pas dix minutes de cours, dix-huit établissements industriels.

Encaissé dans un étroit vallon, à la source de l'Areuse, Saint-Sulpice présente une singulière analogie avec Serrières, là aussi se pressèrent de très bonne heure des moulins et des forges. En 1504 déjà, Claude Sordet Ferrier y obtenait le renouvellement de sa concession et s'engageait à payer aux Comtes de Neuchâtel annuellement "600 livres de fer bons et loyals étendues en palanches". Plus tard, il n'y eut à cet endroit pas moins de cinq scieries, une fonderie de cloches et une papeterie que finit par absorber la fabrique de pâte de bois actuelle.C'est dans ces deux villages, ainsi qu'à Noiraigue dans une plus faible mesure, qu'il faut chercher en dehors de Neuchâtel Ville les traces d'une industrie de quelque importance avant le XVIIIe siècle.

La métallurgie en particulier y fut prospère. D'où venait la matière première employée dans les forges et les fonderies des ferriers ?

On sait que les seules exploitations de fer en Suisse actuellement sont celles du Val de Delémont, mais d'innombrables mines ont été ouvertes autrefois avec plus ou moins de succès au pied des Alpes et tout le long du Jura, dans le Val-de-Travers en particulier. Cette exploitation du fer au Val-de-Travers eut même une certaine importance et les archives de l'État indiquent que de nombreuses concessions furent données jadis dans ce but. Il ne paraît pas que les ferriers aient fait en général de très brillantes affaires. La teneur des filons en minerais fut sans doute trop faible et les frais généraux trop élevés pour permettre de lutter efficacement contre la concurrence.

Le bois servant seul de combustible, un des résultats les plus clairs de cette exploitation fut la disparition des forêts. Le Conseil d'État dut même intervenir énergiquement; en 1576, il défend aux propriétaires des mines d'entreprendre de nouvelles coupes de bois; peu de temps après, il concède aux frères Cochan, Antoine et Guillaume, le privilège du seul haut-fourneau qui soit encore toléré.L'industrie des ferriers était à son déclin. La dernière tentative d'exploiter les mines du Val-de-Travers fut faite à la fin du XVII ème siècle. Jonas Sandoz, lieutenant du Locle, obtenait en décembre 1682 du Prince de Condé, curateur du Prince de Neuchâtel, la concession de pouvoir extraire, fondre et affiner du fer au Val-de-Travers, dans l'endroit qui lui plaira. Le bail fut établi pour une durée de vingt ans et moyennant une redevance de 3500 L.

Mais en 1688 déjà, Sandoz constituait avec Mérian et Raillard, de Bâle, une nouvelle Société dans laquelle il entrait pour un tiers; finalement l'entreprise échoua.

Cette exploitation du fer au Val-de-Travers avait fait naître de nombreuses industries. Saint-Sulpice avait ses fonderies, les Verrières et Fleurier leurs taillandiers, Noiraigue ses cloutiers; toutes se maintinrent longtemps après l'abandon des mines du pays.

Sans avoir été, comme on l'a prétendu parfois, la cause principale du développement de l'horlogerie, il est certain cependant que cette habitude du travail des métaux, conséquence en partie de l'exploitation des mines de fer, contribua à sa rapide extension. L'histoire des débuts de la principale industrie montrera clairement qu'il n'est pas possible de séparer nettement les premiers horlogers des autres artisans, armuriers, serruriers, et ceux-ci n'ont pas surgi spontanément. Lentement, ces métiers, qui marquent une transition entre le simple travail des métaux et ceux qui touchent par quelque côté à la mécanique, s'étaient développés, fruits d'une longue chaîne de préparations et de traditions. L'horlogerie s'y greffa, et lorsque, sous d'autres impulsions, elle gagna de village en village et de vallée en vallée, elle trouva un terrain propice, ouvert largement et tout prêt à être fécondé. En même temps que l'horlogerie prenait lentement corps au XVIIe siècle, se développait dans les hautes vallées l'industrie de la dentelle, plus ancienne qu'on ne l'a cru jusqu'ici; en effet, divers actes révèlent des marchands de dentelles à La Chaux-de-Fonds en 1680 déjà,et des coussins à dentelles quelque vingt ans plus tôt.

A cette époque, les conditions économiques du pays ne permettent pas encore aux artisans de la montagne de se consacrer entièrement à leur profession; pendant l'été, ils sont agriculteurs, et durant l'hiver, ils s'adonnent suivant leur goût au travail du fer, à celui du bois, ou déjà avec leurs épouses au maniement délicat des fuseaux. Beaucoup de ces occupations secondaires, exercées d'abord en guise de passe-temps, devinrent peu à peu un gagne-pain; toutes n'eurent pas, certes, une influence sur l'économie du pays, mais du moins ce mérite incontestable de donner à ceux qui les pratiquaient la dextérité si nécessaire aux horlogers. L'industrie ne devint vraiment florissante qu'au XVIII ème siècle. C'est alors que ces trois grandes manifestations de l'activité des Neuchâtelois : la dentelle, les toiles peintes et l'horlogerie, prirent un brillant essor et portèrent au loin la renommée du pays. Autour d'elles subsistèrent quantité d'activités secondaires qui les avaient en général précédées : la fabrication des faux, des boucles, des pipes en fer et en laiton, des seringues de cheminée, des tabatières, de la poterie d'étain, des armes à feu, etc.

Certains de ces produits étaient exportés jusqu'aux foires de Francfort. Dans la seconde moitié du siècle, les ouvrages en serrurerie faits dans la vallée de la Sagne étaient encore recherchés dans les États voisins à cause de leur perfection et de leur prix modéré. Les dentelles rivalisaient avec celles de Normandie et cherchaient à égaler celles de la Flandre; on les exportait à Beaucaire et dans les ports de la Méditerranée, d'où elles s'en allaient décorer les autels de l'Espagne ou des Antilles.

Tandis que l'industrie des dentelles sera surtout pratiquée au Val-de-Travers, celle des toiles peintes fut plus spécialement localisée dans le Vignoble.

Quant à l'horlogerie, qui ne tarda pas à prendre la première place, elle eut pour domaine principal et presque exclusif, à un moment donné, les vallées moyennes et surtout les vallées hautes du pays.

Et cependant c'est à Neuchâtel Ville que l'on trouvera ses plus anciennes traces.

L'horlogerie mécanique se manifesta premièrement par les horloges de clochers qui précédèrent de longtemps les horloges d'appartements et de plusieurs siècles la montre. Deux groupes d'artisans contribueront à son développement : les serruriers qui seront appelés à nettoyer, à réparer, puis à construire parfois eux-mêmes les grosses horloges, et les orfèvres auxquels on confiera les réparations de pièces plus délicates et qui, tout naturellement, songeront un jour à en façonner de pareilles.

Alfred Chapuis : La pendulerie Neuchâteloise (1917)