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Tavillonneur, ancien métier qui redevient actuel

C’est uniquement oralement et par la pratique que le tavillonneur transmet son savoir-faire ancestral sur les propriétés du bois, la manière de le fendre pour confectionner les bardeaux et la technique extrêmement raffinée de mise en place des bardeaux sur la charpente.

Par m2 de toit, il faut près de 250 tavillons et le savoir-faire subtil du tavillonneur, maître dans l’art d’épouser les irrégularités d’un toit ancien, ce que la tôle ou l’éternit rigide et sans âme interdisent.

Voici donc les aspects spécifiques du métier de tavillonneur qui en font non seulement un art mais aussi une entité réelle de notre patrimoine culturel.

1. Introduction

Le bois, en tant que matériau de couverture, à travers les âges

Depuis que l’homme a été capable de construire son gîte, après être sorti de sa caverne, il l’a tout de suite recouvert de branchages. Ceux-ci ont rapidement été remplacés par des éléments en bois qui, dès le néolithique, ressemblaient assez précisément aux bardeaux utilisés encore actuellement.

Les plus anciens bardeaux découverts en Suisse romande remontent à l’époque bardeauxintro1gallo-romaine, quoiqu’une pièce partiellement carbonisée découverte à Auvernier a été datée entre 878 et 850 av J.-C. Dans le canton de Soleure, on a découvert des bardeaux en sapin rouge et blanc de grande dimensions : jusqu’à plus de 1m de longueur pour une largeur de 7 à 8 cm. La datation indique une période comprise entre les années 7 et 70 après J.-C.

A l’époque médiévale, les renseignements sont peu abondants. On sait cependant que le château de Chillon, au XIIIème siècle, était couvert de bardeaux, remplacés déjà en 1301 par la tuile rectangulaire vernissée. Au Moyen Age, l’utilisation des tavillons ou bardeaux était très courante et constituait, avec le chaume, l’essentiel des couvertures.

Ces anciens bardeaux découverts sont plus larges et plus longs que ceux utilisés de nos jours mais les méthodes de fabrication étaient pratiquement les mêmes que celles utilisées par les tavillonneurs actuels.

Disparition progressive des toits de bardeaux

Toutes les habitations ou presque étaient recouvertes de bardeaux ou tavillons jusqu’à l’apparition de la tuile plate, au début du XIVème siècle. Mais on peut dire que la tuile ne commence véritablement à remplacer le bardeauxintro3bardeau qu’à partir du XVIIème et XVIIIème siècle principalement en plaine, les régions de montagne restant fidèles à la couverture en bois pour des raisons évidentes de transport. Il est plus facile d’utiliser les bois présents sur place que de transporter des tuiles sur des dizaines voir centaines de km en fonction des voies de communication de l’époque.

Il n’est pas rare non plus, à cette époque, de voir naître une association « tavillon – tuile » ; une partie tuiles, une partie tavillons, glissés sous la jointure des tuiles posées en lignes verticales.

C’est depuis la fin du XIXème siècle que des matériaux de substitution s’implantent sérieusement et semblent prédire une mort certaine à moyen terme au bardeau ou au tavillon (question d’appellation traitée lors d’ un prochain chapitre). C’est le cas principalement en plus de la tuile, de bardeauxintro4la tôle, de l’éternit, de la tuile-béton ou même de l’ardoise.

Il faut également préciser que de plus en plus, les fermes traditionnelles se sont transformées et agrandies pour renfermer, en plus des locaux précédemment destinés à l’hébergement du bétail et de la famille exploitante, une partie « grenier » ; ce qui a considérablement augmenté les risques d’incendie. Les prescriptions de l’assurance incendie, dans certains cantons et jusqu’à une époque récente, ont prétérité les toits en bois en encourageant des matériaux moins inflammables. Jusqu’au XIXème siècle on a vu de grands incendies ravager des villages entiers.

Tavillons, bardeaux, ancelles anseilles aisses, écailles clavins

Ces dénominations sont locales et correspondent grossièrement au même type de couverture mais il existe, au niveau de la fabrication comme à celui de la pose, de petites différences d’une région à l’autre.

Nous allons nous concentrer ici sur la différence entre le bardeau, utilisé principalement dans le Jura et en Franche Comté et le tavillon ou tavaillon beaucoup plus répandu en Gruyères, dans le Pays d’En haut, en Haute Savoie et en France voisine en général.

Le bardeau, quant à sa pose, peut grossièrement être comparé à une « tuile en bois ». Il est plus épais que le tavillon et ne possède qu’un recouvrement horizontal + un vertical ce qui représente 4 couches de bois.

Les tavillons sont plus minces mais se posent généralement à double recouvrement avec une superposition verticale des rangées de 10 à 11 cm et une superposition horizontale de 3 à 5 cm. L’épaisseur de la couche comporte ainsi 12 tavillons superposés.

Dans la suite de ce reportage, il sera fait mention indifféremment de tavillons et de bardeaux alors que les artisans qui les travaillent seront les tavillonneurs.

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2. Le métier de tavilloneur

Choix des essences de bois

Ce choix dépend avant tout des disponibilités en fonction des régions. On ne va pas faire des tavillons de châtaignier dans le Jura et des tavillons d’épicéa dans le sud de la France. Au vu de ce qui précède, on peut, sans risque de se tromper, affirmer que les tavillons peuvent être faits en plusieurs essences (les principales étant : le chêne, le châtaignier et le mélèze) alors que les bardeaux sont essentiellement fait en épicéa rouge ou blanc.

Qualité du bois

Le bois doit être d’excellente qualité, exempt de nœuds (donc de branches) et de vermine. La bille choisie est d’un bon diamètre. Les fibres doivent être droites, concentriques et régulières ; l’écorce doit être « alignée ».

Le tavillonneur, souvent en collaboration avec le garde-forestier, bardeauxmet1choisit ses bois « sur pied ». Il prend soin de prévoir l’abattage de fin novembre à début mars, lorsqu’il n’y a plus du tout de sève dans l’arbre. Cet abattage se fera de plus quand le dernier quartier de la lune décroit, à la lune rouge ; le bois ne noircira pas car il n’a plus de résidu de sève. Par contre on dit que : « coupé à la lune noire, il noircit très vite ; il charbonne ».

Le tavillonneur choisit également son bois en fonction de l’altitude à laquelle il a crû (entre 1000 et 1600 mètres en ce qui concerne l’épicéa), et de l’endroit, pas trop venteux, de manière à ce que les fibres soient le plus « longiforme » possible.

Préparation des bardeaux

La bille sélectionnée en fonction de sa qualité est coupée en morceaux d’environ 50 cm de longueur ; là, à nouveau, cette longueur a varié au cours des âges et varie encore actuellement selon les régions.

bardeauxmet3Ces morceaux de billes appelées « meules » ou « moules » sont ensuite débités en « quartiers ». Ceux-ci sont tout d’abord écorcés à la hache puis affranchis de leur aubier (partie tendre sous l’écorce) et de leur cœur.

Ils sont ensuite taillés dans la largeur désirée (en principe de 13 à 16 cm) avant d’être fendus à l’aide du « fer à tavillons » que l’on engage en frappant avec une « mailloche » puis, par un mouvement de va et vient imprimé au manche du fer, on fait éclater le morceau dans le sens des veines. On dit alors qu’ils sont « refendus dans le fil » Il est très important que la veine du bois ne soit jamais coupée sur la face exposée aux intempéries et qu’aucun nœud ne puisse permettre quelque infiltration d’eau que ce soit.

Chaque tavillon est ensuite « chanfreiné » (taillé en biseau) sur sa partie supérieure afin d’éviter les surépaisseurs dues au recouvrement horizontal.

Ce travail terminé, tous les tavillons sont alors regroupés en paquets bardeauxmet4solidement ficelés en respectant l’ordre dans lequel ils ont été fendus. Ces paquets sont alors stockés dans un endroit abrité en attendant d’être posés. En cas de stockage prolongé, les tavillons seront trempés dans un bassin rempli d’eau afin d’éviter un éclatement lors du clouage.

Il est important lors de la pose que les tavillons se superposent dans le même ordre de leur préparation de manière à ce qu’ils se recouvrent le plus parfaitement possible.

Précisons que tous ces travaux de préparation sont effectués à la mauvaise saison juste après l’abattage. Le bois est donc vert mais complètement exempt de sève.

Pose des bardeaux

Il existe également différentes techniques de posage des bardeaux et chaque tavillonneur a ses petits « trucs », mais les règles de base restent les mêmes.

bardeauxmet-5On commence toujours le travail de pose par le bas. Les tavillons du premier rang sont alignés à l’aide d’une ficelle. Ils sont plus courts (env. 20 à 30 cm de longueur) ; la couche suivante, composée de tavillons normaux recouvre entièrement la première. Ceci permet de doubler l’épaisseur du toit où l’usure due à l’eau de ruissellement est la plus importante. On continue l’alignement des rangs suivants et on monte petit à petit le pan du toit.

Le problème des faîtages est résolu au cas par cas en fonction des problèmes, des techniques et des régions, mais en principe, on réalise un « lignolet » à savoir un recouvrement d’un pan (le plus exposé aux intempéries) sur l’autre.

Il est important que les planchettes de lambrissage sous les bardeaux ne soient pas « jointives » (collées les unes aux autres) pour permettre une bonne ventilation et éviter bardeauxmet11jpgainsi le pourrissement.

Les grandes différences apparaissent au niveau du recouvrement et à celui de la fixation.

En cas de recouvrement vertical simple il faut compter environ 100 unités au m2 ; par contre en cas de recouvrement vertical et latéral ça peut aller jusqu'à 250 pièces au m2.

Quant à la fixation, les bardeaux sont très souvent fixés avec des clous. Les anciennes techniques prévoyaient des retenues par des pierres et des barres de bois plutôt que des clous, d’une part parce que les clous de l’époque, forgés un à un, étaient beaucoup trop chers et d’autre part, parce qu’on cherchait à retenir la neige sur le toit non comme isolant, mais pour l’eau qui alimentait la citerne.

Pose en façade

Les bardeaux se posent également en façade. On parle alors plus volontiers de tavillons.

Dans ce cas, le recouvrement est moindre et la longueur du tavillon est réduite en conséquence. L’important est que les tavillons soient cloués contre des planches non jointives, elles-mêmes fixées à des carrelets verticaux de manière à assurer une bonne circulation d’air indispensable à la conservation du revêtement.

Relevons aussi que c’est principalement contre les façades que le tavillonneur a l’occasion de donner libre cours à son sens esthétique (croisillons, soleils, arrondis, tavillons à découpe, lignes ondulées, etc...).

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Sur certaines fermes jurassiennes le recouvrement d’une chape de tavillons sur façade s’est faite dans un deuxième temps. En effet, au cours de travaux d’agrandissement, certaines fermes ont été « retournées ». En ajoutant un étage, on tourne le toit d’un quart de tour et la façade principale devient alors façade latérale. La pose de tavillons avait pour but de la protéger contre les intempéries.

Il existe plusieurs de ces fermes dite « mal tournées » en Suisse, dans le Jura neuchâtelois, vallée de la Sagne et des Ponts de Martel, en particulier.

3. Renaissance des toits de bardeaux

Depuis plusieurs années maintenant, on remarque une recrudescence des toits en tavillons ou en bardeaux alors que cette technique tombait en désuétude faute d’artisans et de demandes il y a une trentaine d’années encore. Cette recrudescence est encourageante et a plusieurs raisons :

Question de mode

La principale est certainement la recherche de l’ « authentique », du naturel et du typique dans l’utilisation des matériaux, la préservation du patrimoine et son adéquation avec bardeauxren2les nouvelles valeurs du développement durable, de la protection de l’environnement et de l’écocitoyenneté.

Raisons pratiques

  • La longévité d’un toit de bardeaux est tout-à-fait comparable à celle d’un toit de tuiles, sinon supérieure et dépend avant tout de la pente du toit (plus elle est forte plus la durée de vie sera longue) et de l’essence du bois utilisé (de 60 à 80 ans pour un toit recouvert de bardeaux en épicéa).
  • Le poids des bardeaux étant bien inférieur à celui des tuiles il en résulte une différence quant à la conception de la charpente devant les supporter.
  • Aucun entretien particulier n’est prévu sur un toit de bardeaux. Le « grisage » bardeauxren4du bois n’est pas une altération de celui-ci mais il s’agit d’un processus normal qui fait d’ailleurs l’un des charmes du matériau. Les sels minéraux remontent à la surface du bois où ils forment une couche protectrice naturelle donnant une couleur grise au bois.
  • Et enfin le bois est un excellent isolant thermique, bien supérieur à l’éternit, à l’ardoise ou à la tuile.

Raisons économiques

  • En Suisse, certains cantons allouent des subventions aux propriétaires rénovant ou construisant un toit en bois. En France, l’utilisation du tavillon est dorénavant régi par un cahier des règles professionnelles tant au niveau de sa fabrication que de sa pose. Le Centre technique du bois et de l’ameublement a aussi officialisé l’utilisation du tavillon en épicéa pour la couverture des toits.
  • D’autre part, des techniques plus modernes simplifient la tâche des bardeauxren1tavillonneurs quant à la fabrication des bardeaux en garantissant la même qualité, ce qui permet à ces derniers de rivaliser de plus en plus, financièrement parlant, avec les charpentiers et couvreurs habituels ; mais attention de ne pas confondre avec les bardeaux de mauvaise qualité produits mécaniquement et qui ne peuvent être utilisés que comme sous-couverture.

Raisons esthétiques

  • En plus des raisons citées plus haut, le toit de bardeaux vieillit bien, en tout cas mieux que la tôle ou l’éternit et même que la tuile.
  • De plus, selon le type de construction et le lieu où elle se situe, le toit de bardeaux n’offre pas de comparaison avec tout autre revêtement.

André Beuret

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(Vos précisions et compléments à ce reportage seront reçues avec intérêt)

Références et liens

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